CATÉGORIE : PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
La tranchée est devenue un véritable symbole de la Première Guerre mondiale. Pour l’histoire militaire canadienne, ce symbole s’est forgé à Ypres, sur la Somme, à la crête de Vimy ou encore à Passchendaele. Lorsqu’on en parle, c’est pour évoquer la guerre de position et ses stratégies militaires. On souligne souvent que c’est (en partie) parce qu’elle s’est enfoncée dans la terre que le conflit a duré si longtemps. Pour celles et ceux qui ont déjà parcouru les vestiges conservés sur ces champs de bataille, c’est aussi l’occasion de jeter un autre regard sur la guerre et de se rappeler que, sur le front, les soldats ont parfois davantage manié la pelle que le fusil, au point que cette dernière a parfois remplacé le second pour devenir une arme meurtrière à part entière. Ainsi en témoigne Erich Maria Remarque dans « À l’Ouest, rien de nouveau » : « Il est maintenant de mode chez certains d’aller à l’assaut simplement avec des grenades et une pelle. La pelle bien aiguisée est une arme plus commode et beaucoup plus utile ; non seulement on peut la planter sous le menton de l’adversaire, mais, surtout, on peut asséner avec elle des coups très violents ; spécialement si l’on frappe obliquement entre les épaules et le cou, on peut facilement trancher jusqu’à la poitrine. Souvent la baïonnette reste enfoncée dans la blessure ; il faut d’abord peser fortement contre le ventre de l’ennemi pour la dégager, et pendant ce temps on peut facilement soi-même recevoir un mauvais coup. En outre, il n’est pas rare qu’elle se brise. »
Tranchée, image d’archives de la Première Guerre mondiale

Sur les sites commémoratifs où l’on peut encore suivre un boyau et toucher les parois de craie, des guides au Mémorial national du Canada à Vimy expliquent souvent à quel point ce geste de creuser jusqu’au cœur des champs marquait les esprits des soldats qui, pour beaucoup, étaient des agriculteurs venus des Prairies, du Québec ou de l’Ontario. Le vocabulaire militaire nous laisse encore percevoir la cruauté du paradoxe imposé à ces hommes de la terre : ne parle-t-on pas de champs de bataille et d’armée en campagne ?
S’enterrer pour mieux se terrer, regarder le ciel, attendre, prier : c’est de cela que se composait la plupart du temps passé par les soldats, entre ces parois de terre…
Image d’archives, Première Guerre mondiale
Image d’archives, Première Guerre mondiale
Après avoir consulté quelques images dans des fonds d’archives publics, je me suis plongée dans la littérature. Je suis revenue avec émotion au poème de John McCrae, médecin militaire canadien, composé en 1915 près d’Ypres : ses mots font écho aux images pour nous faire découvrir la guerre vue du fond des tranchées par ces agriculteurs et ouvriers devenus soldats, tantôt se languissant de retrouver la vie de leurs terres cultivées, tantôt craignant que celle qu’ils occupent ne leur fasse office de tombeau…
Tranchées du front de l’Ouest, image aérienne d’archives.
Au fil des mois, l’attente, la boue et l’incertitude rongeaient les nerfs. Beaucoup de membres du Corps expéditionnaire canadien étaient des ouvriers et des cultivateurs : leur langue empruntait naturellement celle des champs. On parlait de sillons, de semailles et de récoltes autant que de tirs de barrage, et la terre, tour à tour nourricière et meurtrière, devenait refuge comme tombe possible.
Des photographies nous montrent des épaules tassées contre le parapet, des regards levés vers un ciel sans promesse, des heures étales à tenir la ligne. Ces images, plus que tout discours, rappellent la part d’humanité qui s’accrochait dans la tourmente.
Image d’archives, soldat au repos dans un abri (1918)

Je vous invite enfin à relire dans son intégralité le très célèbre « Au champ d’honneur » de John McCrae. En guise de conclusion, voici un extrait qui dit autant l’usure des tranchées que l’espérance têtuement entretenue.
(…)
Au champ d’honneur, les coquelicots,
Entre les croix, de rang en rang,
Fleurissent ; et, dans l’air, les alouettes
Chantent encore, à peine entendues
Sous le grondement des canons.
(…)
Nous qui gisons au champ d’honneur,
Il y a peu, nous vivions, sentions l’aurore,
Voyions le couchant s’embraser,
Aimions et étions aimés ; maintenant
Nous reposons au champ d’honneur.
(…)
Prenez contre l’ennemi notre querelle :
De nos mains défaillantes nous vous passons la torche ;
Qu’elle soit vôtre et bien tenue.
Si vous manquez à notre foi, nous ne dormirons pas,
Bien que poussent les coquelicots au champ d’honneur.